Le vivant, du cosmos à la Terre
retour sur la Station 11 avec Karl Sims, Giovanni Anselmo
& Kazuo Shiraga

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Karl Sims, Panspermia, 1990.
Betacam NTSC Vidéo couleur et son 2’ 8’’
Illustration et mise à l’épreuve de la théorie de la Panspermie.


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Giovanni Anselmo, Trecento milioni di anni (Trois cent millions d'années), 1969.
anthracite, lumière électrique, câble, feuille de métal, 30 x 50 x 13 cm, Épinal, Musée Départemental d’Art ancien et Contemporain


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Kazuo Shiraga, Challenging Mud (Défi à la boue), 1955.
Épreuve photographique
Amagasaki, Amagasaki Cultural Center


Toute vie sur Terre est reliée à l’ensemble de l’univers : c’est la réflexion de la Station 11 du Laboratoire espace cerveau intitulée Le vivant, du cosmos à la terre.
Le jardin est un objet d’étude idéal, puisque c’est un lieu qui concilie l’infiniment petit et l’infiniment grand. Dans ses Hétérotopies, Michel Foucault définissait le jardin comme « la plus petite partie du monde et la totalité du monde ». En croisant l’étude des strates géologiques et atmosphériques de notre planète, la Station 11 retrace la logique du vivant dans sa dimension spatiale pour concevoir un jardin infini*.

L'enquête scientifique sur les possibilités d'apparition de la vie en dehors de notre planète a pour nom l'exobiologie : c’est cette hypothèse d’un vivant venu d’ailleurs que nous propose Karl Sims, avec son film d’animation Panspermia (1990). Une graine arrive sur la surface d’une planète inconnue et donne naissance à des plantes de plus en plus imposantes, qui finissent par expulser elles-mêmes des graines et proliférer en direction d’autres planètes. Du grec pan, tout, et spermia, semence, la théorie de la Panspermie est l’hypothèse selon laquelle la vie circule à travers le cosmos sous la forme d’organismes microscopiques.

Le minéral aussi est vivant, comme le fait sentir Giovanni Anselmo avec Trecento milioni di anni, un bloc d’anthracite où est fixée une ampoule électrique faiblement allumée. L’artiste explique que :
« l’anthracite était, autrefois, végétal ou reptile, ou quelque chose d'organique et animé, avant que les transformations de la croûte terrestre n’ensevelissent beaucoup d’aspects de la vie et ne les soustraient aussi à la lumière. La lampe que j’ai posée sur l’anthracite annule le temps écoulé entre nous et ce que pouvait être alors ce matériau ».

Sentant dans la terre cette infinité de forces vives, de potentialités et d’énergies, des artistes s’en emparent dans leurs œuvres. Kazuo Shiraga, artiste japonais du mouvement Gutaï (concret), confronte son propre corps avec la terre dans Défi à la boue (Dora ni idomu) en octobre 1955, œuvre qui figure parmi les premiers happenings (événements ou situations artistiques). Habitué à peindre avec ses mains ou ses pieds, Shiraga s’engage dans un corps-à-corps avec la substance primordiale, dansant et luttant avec la boue. Il n’est pas question d’utiliser la terre comme matériau mais de se laisser traverser par les forces de cette entité vivante qu’est Gaïa**.

* Pour reprendre l’intitulé de l’exposition Jardin infini, De Giverny à l’Amazonie présentée en 2017 par Hélène Meisel au Centre Pompidou-Metz, qui a accueilli cette station du Laboratoire espace cerveau
** Bruno Latour, Face à Gaïa. Huit conférences sur le Nouveau Régime Climatique. Paris : La Découverte, 2015 (coll. « Les Empêcheurs de penser en rond »).

micro Labo

Découvre, explore et expérimente !

 

Les artistes de la station 11 s’intéressent aux matières et à leurs métamorphoses, comme les transformations des plantes. À l'aide de graines, réalise des cartes à planter à offrir à tes proches !
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macro Labo

« Affirmer une continuité matérielle entre la Terre et le reste de l’univers signifie changer l’idée même de Terre. La Terre est corps céleste, et tout est ciel en elle. Le monde humain n’est pas l’exception d’un univers non humain ; notre existence, nos gestes, notre culture, notre langage, nos apparences sont de part en part célestes.»    

Dans le chapitre « le plus profond, ce sont les astres » de son livre La Vie des plantes. Une métaphysique du mélange, Emanuele Coccia propose de considérer le monde humain comme quelque chose d’entièrement lié aux astres, et donc de déconstruire la dualité terrestre/céleste. Les plantes sont les premiers paysagistes de l’univers, ce sont elles qui permettent l’apparition de l’oxygène à travers la photosynthèse et, par elles, la circulation des corps gazeux, fluides et solides. C’est ce « jardinage cosmique » que nous présente en accéléré Karl Sims dans Panspermia (1990). Cet artiste et informaticien est l'un des premiers à utiliser des algorithmes pour automatiser l'invention de formes plastiques. L’apparition des plantes rejoint celle des créatures numériques : ces deux formes de vies, naturelles ou virtuelles, se développent et s’accroissent spontanément, sans intervention extérieure.

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Karl Sims, Panspermia, 1990.
Betacam NTSC Vidéo couleur et son 2’ 8’’
Illustration et mise à l’épreuve de la théorie de la Panspermie.

Son travail permet de rappeler le rôle biologique des plantes, qui rendent possible la vie sur Terre, mais aussi leur rôle cosmique : elles sont la forme de vie première, celle qui fait le lien entre tous les types d’espaces et de milieux.

→ Prenez le temps de lire ce chapitre " le plus profond, ce sont les astres ", ici.


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« Les réflexions et découvertes sur l’émergence de la vie, le rôle des plantes dans l’habitabilité vitale de la Terre, l’extension temporelle des formes de vie pluricellulaires mettent sur le devant de la scène une vie plus obscure, ni anthropique bien sûr, ni animale, ni même, peut-être, terrestre. » 

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Station 11, Le vivant, du cosmos à la Terre

Giovanni Anselmo (1934-)

Peintre autodidacte, Giovanni Anselmo abandonne très tôt les langages artistiques traditionnels et représentatifs pour participer à l’Arte Povera, expérience historique italienne des années soixante et soixante-dix. Il manifeste une attention à des matériaux, des forces et à leurs processus, donnant plus d’importance au geste créatif qu’à l'œuvre finie. Ses sculptures mettent en jeu un équilibre et une tension entre divers éléments. Son travail incorpore des matières naturelles ou végétales, s’appuyant autant sur leurs qualités naturelles intrinsèques que sur leur charge symbolique. L’artiste procède par mise en tension d'associations de matières et de masses antagonistes. Sa réflexion porte sur l’ordre des choses, les cycles de la nature et plus généralement sur le rapport existentiel entre l’homme et la nature au sein du cosmos.

Kazuo Shiraga (1924-2008)

Kazuo Shiraga est l’un des membres fondateurs du groupe Gutaï (1952), mouvement artistique du Japon d’après-guerre. S’il est considéré comme un peintre, il rejette tout principe de composition picturale : ses peintures sont issues de performances. Il peint avec ses doigts, une hache, les pieds ou tout son corps dans une véritable lutte avec la matière. Son œuvre répond à la fois à la violence de la Seconde Guerre mondiale et à une recherche de « pensée zen ». Dès 1962, il est remarqué par le critique d’art informel Michel Tapié qui favorisa sa reconnaissance internationale. À partir de 1968, Shiraga enseigne la peinture à Osaka et devient moine bouddhiste au temple du mont Hiei.

Karl Sims (1962-)

Chercheur en infographie et artiste, Karl Sims développe des plugins informatiques qui lui permettent d’introduire des effets visuels complexes dans ses œuvres. À l’aide d’algorithmes mathématiques, celles-ci reproduisent les mouvements et modes de déplacement de divers animaux ou végétaux, ou en conçoivent de nouveaux pour un effet saisissant. Pionnier de ce que l’on nomme le “ generative art ”, Karl Sims théorise la possibilité d’une évolution artificielle de l'art informatique en créant des “ créatures virtuelles ”. Ses vidéos et ses installations sont volontiers interactives, réagissant aux actions des visiteurs pour générer des motifs, des sons ou des couleurs. 

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