À partir de la Station (1)0, le Laboratoire espace cerveau entame un nouveau cycle et étend son champ d’exploration aux liens organiques qui unissent l’humain au cosmos. Les questions que soulève l’Anthropocène poussent l’homme à prendre acte de sa place relative dans la chaîne du vivant. Les bouleversements biologiques, géologiques, climatiques désormais manifestes, ainsi que les récentes recherches scientifiques, nous obligent à recomposer un monde humain et non-humain. Face à cette prise de conscience croissante, notre rapport au monde connaît une évolution fondamentale : les principes dualistes de l’approche occidentale séparant l’homme de la nature, opposant matière et esprit, laissent place à un modèle cosmologique, une vision du monde non plus anthropomorphe mais “cosmomorphe” (1). 

(1) Pierre Montebello, Métaphysiques cosmomorphes, la fin du monde humain. Les presses du réel, 2015.   

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Les récentes découvertes scientifiques, en neurosciences, en astrophysique, en biologie, en géologie, nous mènent à une redéfinition des limites entre corps, espace, temps et cerveau et à une expérience “étendue” de l’environnement, entre infiniment grand et infiniment petit. Les nouvelles perspectives apportées par les chercheurs réinvestissent ainsi les liens qui nous unissent à la Terre, retissent les fils entre matière et vie, et inscrivent l’humain dans l’ordre du cosmos. Aux expériences de “perception élargie” suivent celles, plus intenses encore, d’une fusion vitale avec les éléments et une aspiration à ne faire qu’un avec l’univers. Dans l’élan de nouvelles recherches sur le vivant, telles que l’épigénétique, où l’impact de l’environnement est mesuré dans le génome sur plusieurs générations, ou l’astrobiologie, qui recherche du commun entre Mars et la Terre à l’échelle de l’infiniment petit, il s’agit de penser en terme de coexistence et de lien dynamique. De cette approche relationnelle, transitive, se dégagent les notions fondamentales de milieu, de passage, de mouvance. Sur le mode des conceptions orientales, dénué de tout clivage, émerge une appréhension unifiée du cosmos. Comment, aujourd’hui, la création et la recherche peuvent-elles contribuer ensemble à ce changement de paradigme, construire un autre regard sur le monde ? Une responsabilité partagée, artistique, scientifique et intellectuelle, pourrait-elle permettre l’émergence d’actions alternatives ?

Nathalie Ergino, octobre 2016

 

 

 

Initié par l’artiste Ann Veronica Janssens et Nathalie Ergino, directrice de l’Institut d’art contemporain, ce projet propose d’interroger, à partir du champ des expérimentations artistiques, les recherches pratiques et théoriques permettant de lier espace et cerveau. Interdisciplinaire, ce Laboratoire rassemble les réflexions et les expériences d’artistes et de scientifiques (neurosciences, physique, astrophysique) ainsi que celles de philosophes, d’anthropologues, de théoriciens et d’historiens de l’art.
Le principe du laboratoire espace cerveau est né de constats mutuels. Depuis les années 80, Ann Veronica Janssens explore de multiples approches de la perception, de l’espace, confrontant perte de repères et sensations de réel. Elle fait appel aux compétences de spécialistes plutôt scientifiques, afin d’élaborer de façon volontairement intuitive des zones de sensibilité et d’acuité. Aujourd’hui, au vu de l’accélération des données scientifiques, Ann Veronica Janssens a choisi de mettre l’accent sur l’expérimentation par la mise en œuvre d’un immense “chantier” d’investigations et de prototypes.
Après de nombreuses expositions consacrées à des artistes comme Rodney Graham, Carsten Höller, ou des expositions collectives telles que Maisons-Cerveaux (1995) et Subréel (2002), cristallisant chacune à leur manière des questions d’espace et de perception, Nathalie Ergino tente d’évaluer l’enjeu artistique de ces différentes propositions. En apparente filiation avec les approches des années 50-70, ces démarches sont pourtant différentes, déjà de par leur inscription temporelle dans une époque à la fois d’application (cybernétique, électronique..) et de recherche scientifique accrue. Peut-on encore désigner l’inconscient comme outil potentiel du réel, peut-on avancer aujourd’hui la notion de “perception critique” ?
En effet, les recherches scientifiques actuelles renouvellent notre approche de l’espace et de son articulation avec le cerveau. Des avancées neurophysiologiques aux découvertes physiques (physique quantique, théorie des cordes, nanosciences…), l’appréhension du monde a basculé de l’espace euclidien vers un espace encore indéterminé, en mutation. Si depuis toujours, en passant par la Renaissance perspectiviste, la pensée spatialise et construit le monde, peut-on encore parler aujourd’hui de sa représentation ? Comment le fait politique peut-il alors se renouveler ? Que deviennent les enjeux de l’art ?
Ce projet se propose d’explorer l’extension cognitive et phénoménologique de la pensée, à travers notamment la considération du “corps en acte1”comme élément constitutif du monde. Il prend ainsi pour hypothèse de dépasser les traditionnelles dualités, et les conditionnements qu’elles recèlent : objectivité / subjectivité, conscient / inconscient, centralité / décentrement, matérialité / immatérialité…
Plutôt que d’envisager les relations du cerveau à l’espace, ce Laboratoire entend prendre appui sur l’espace même. D’une part comme possible synonyme du fait artistique, d’autre part comme extension de l’œil, du cerveau et du corps. McLuhan2 évoquait cette extension au niveau planétaire, “c’est son système nerveux central lui-même que l’homme jette comme un filet sur l’ensemble du globe dont il fait ici un immense cerveau vivant”. Pourquoi ne pas imaginer à présent le cosmos comme un cerveau ? L’art pourrait constituer un mode opératoire, intuitif et mobile, susceptible de relier recherches neuroscientifiques et physiques-astrophysiques. Quels sont les fondements et les caractéristiques des recherches aujourd’hui de Micol Assaël, Olafur Eliasson, Cerith Wyn Evans, Bertrand Lamarche, Carsten Nicolai ou Carsten Höller… ?


mai 2009

(1) Conférence d’Alain Berthoz, « Espace et cognition », novembre 2005

(2) McLuhan en 1964, commenté par Arnauld Pierre, « L’œil multiplié », catalogue de l’exposition L’œil moteur. Art optique et cinétique 1950-1975, Musée d’Art moderne et contemporain de Strasbourg, 2005.

DÉROULEMENT DU LABORATOIRE ESPACE CERVEAU

Si l’objectif du laboratoire est de prendre part à la réflexion sur ces bouleversements qui traversent la société toute entière, il consiste également à contribuer au développement des recherches artistiques en cours, sans certitude pour autant d’aboutissement.

Le Laboratoire espace cerveau se développe par étapes, en « stations » et sous différentes
formes : journées d’études, conférences, interventions, présentations d’œuvres, constitution d’une documentation, publications, etc.

Unité d’exploration, le Laboratoire traverse ainsi différents « champs » : neurosciences, physique et astrophysique, nanosciences, objets mathématiques et topologie, nouvelles technologies, parapsychologie, hypnose et télépathie, chamanisme et animisme, ou encore espaces de la non-vision…